Selon les médias, l’humanité serait cernée par l’intelligence artificielle et la surveillance généralisée sans limite, notamment dans le contexte des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) qui se dérouleront à l’été 2024 en France.
Mais de quoi parle-t-on vraiment ? L’adjectif « intelligent » attaché à tout un tas de dispositifs de sécurité est un abus de langage. Il renvoie, en réalité, au fait qu’un logiciel est attaché aux dispositifs en question. S’agissant de la vidéosurveillance, l’idée est « d’apprendre à la caméra à froncer le sourcil », résume Dominique Legrand, président de l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V) qui réunit 150 acteurs : des cabinets de conseil en sécurité, des sociétés de télésurveillance, des constructeurs de caméras, des fabricants de logiciels et des installateurs-intégrateurs.
« Associer un logiciel à une caméra permet de détecter une anormalité et de chercher à la comprendre pour intervenir en cas de besoin », explique cet expert. Reste à déterminer la nature de ces anormalités.
La vidéosurveillance strictement encadrée
Environ 180 cas de figure théoriques ont été recensés par l’AN2V. Mais afin de répondre aux exigences de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui avait initialement interdit l’algorithmique dans l’espace public, les textes d’application de la loi du 19 mai 2023 relative aux JOP de 2024 viennent récemment d’encadrer strictement l’usage des algorithmes de vidéosurveillance, plus précisément de vidéoprotection car l’on parle d’espace public pour les JO.
Un décret publié le 28 août 2023 limite ainsi à huit le nombre d’anormalités que les caméras dites « intelligentes » auront le droit de repérer : la présence d’objets abandonnés, la présence ou l’utilisation d’armes, le non respect par une personne ou un véhicule d’un sens de circulation commun, le franchissement ou la présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible, la présence d’une personne au sol à la suite d’une chute, un mouvement de foule, une densité trop importante de personnes, un départ de feu.
« Avec ces huit cas de figure, on se donne les moyens de couvrir 80% à 90% des problématiques susceptibles de survenir. Or la sécurité est l’élément déterminant de la réussite de la manifestation sportive », souligne Dominique Legrand, qui précise que cette liste « exclut tout ce qui a trait à l’identité des personnes. »
Un sujet anxiogène, sachant que charger un logiciel ou calculer un pourcentage de couleur de peau filmée par une caméra serait « très facile à réaliser ».
Une nouvelle réglementation
« Le spectre de la vidéo algorithmique est extrêmement large. S’il s’agit de repérer un début d’incendie dans une forêt, tout le monde va adorer la caméra. S’il s’agit de reconnaître des couleurs de peau, tout le monde va la détester. Entre les deux, il fallait établir une limite. C’est désormais chose faite », se félicite le président de l’AN2V, qui pointe au passage le grand paradoxe qui caractérise nos sociétés ultra connectées.
« De plus en plus de gens adoptent la reconnaissance faciale dans leur smartphone ou grâce à une caméra installée à leur domicile. Ils l’utilisent deux cents fois par jour, sans le savoir. Mais dès lors qu’on la pratique dans l’espace public, plus personne n’en veut, même si cette reconnaissance faciale permettrait d’identifier sur une place de village un enfant qui aurait été kidnappé, pratique de reconnaissance absolument interdite en France », dit-il.
L’accouchement d’une nouvelle réglementation s’est donc fait dans la douleur, au terme de longs mois de débats éthiques. D’autant qu’entre temps, ChatGPT, prototype d'agent conversationnel, a débarqué dans nos vies. Un outil qui n’a rien à voir avec la sécurité et la télésurveillance mais qui a permis aux citoyens de découvrir la puissance de feu potentielle de l’intelligence artificielle.
Un autre décret, publié le 27 novembre 2023, impose dans tout le processus préalable à l’emploi des caméras « intelligentes » la présence de délégués à la protection des données, fonction introduite par le Règlement général sur la protection des données en vigueur depuis le 25 mai 2018 au sein de l’Union européenne. C’est dorénavant également décrit dans le code de sécurité intérieure français, l’intervention de ces délégués dans les commissions départementales de vidéoprotection est obligatoire avant toute autorisation préfectorale.
Une future révolution pour la vidéosurveillance
Selon Dominique Legrand, l’année 2023 peut être considérée comme « l’année zéro de la caméra qui fronce le sourcil ». Les nouveaux textes réglementaires établissent « un socle juridique solide qui va maintenant permettre de construire une filière dans un environnement étatique officiel ». À ce titre, un troisième décret paru le 11 octobre 2023 donne le cap pour l’avenir, en fixant les modalités de l'expérimentation à venir des traitements algorithmiques d’images, et ce jusqu’au 31 mars 2025.
Ce texte définit avec précision le mode opératoire des caméras « intelligentes » amenées à être utilisées pendant les JOP.
« Jamais on n’aura autant de monde à Paris que durant l’été 2024, il aurait été dommage de ne pas tester ces nouvelles technologies », observe le président de l’AN2V.
Dans un avis rendu dès le 29 juin 2023, la CNIL a annoncé la création d’un comité de pilotage et d’un comité d'évaluation visant à encadrer cette expérimentation, instances qui compteront des personnalités indépendantes, aux profils et compétences variés.
« Cette diversité est nécessaire pour garantir une évaluation pluridisciplinaire et objective de l’expérimentation », a-t-elle estimé, s’agissant notamment des impacts sociétaux des dispositifs de caméras « augmentées ».
Six mois après les JOP, la vidéo algorithmique appellera certainement une nouvelle loi, afin de tirer les enseignements de cette expérimentation à grande échelle. Une manière d’ouvrir la voie, au cours des dix prochaines années, au déploiement de dispositifs de plus en plus performants, de manière concertée, contrôlée, « propre et carrée », prédit Dominique Legrand. Une perspective propre à révolutionner les métiers de la vidéosurveillance.